LAIQUE ou LAIC ? … voila le HIC !
La fausse synonymie des deux mots a été entretenue par les cléricaux, et surtout adoptée par les néo-cléricaux au début des années soixante aux fins d’altérer la Laïcité authentique, anticléricale, dans la perspective d’une Laïcité ouverte (en fait, cléricalisée).
Petite analyse étymologique et lexicologique. « L’ensemble morphologique formé par les termes de la Laïcité porte les traces des grandes étapes de la laïcisation en France « (Pierre Fiala) (1).
Les intégristes de l’enseignement catholique remplaçaient enseignement laïque par enseignement laïc, modification d’apparence anodine. En réalité, l’écriture « laïc » permettait d’englober tout le domaine de l’enseignement non religieux, sans distinction public-privé. La confusion devenait totale. Les défenseurs « laïques » de l’enseignement catholique tenaient à distinguer catholique et privé. Une définition généralement admise parmi eux est Enseignement laïc : Enseignement non confessionnel d’inspiration chrétienne. Dans la première moitié du XXe siècle, l’usage, puis les dictionnaires avaient imposé les deux substantifs.
Laïc : adepte non clerc d’une religion.
Laïque : partisan de la Laïcité. Au moins, là, c’était clair. Restait le problème de l’adjectif.
Essayons de retracer cette longue histoire lexicographique française. L’étymologie est admise par tous : du grec laos, « qui a rapport au peuple », on passe au latin laicus pour parvenir aux formes médiévales lay, laye, en usage courant au Xlle siècle. L’emploi est toujours antonymique avec prêtre ou clerc. La graphie lai, laie, apparaît chez Nicot en 1606 avec cette définition : “celui qui n’a nul degré de cléricature ». Dans l’anglais Cotgrave on trouve en 1611 : lay, secular. Pour l’évolution sémantique plus récente la mémoire est conservée par le Dictionnaire de l’Académie Française (fondée par Richelieu en 1634).
La première édition, en 1694, retient deux adjectifs :
Laïque : adjectif de tout genre. Séculier. Il est opposé à clerc. Une personne laïque, un officier laïque.
Lay, laye : adj. laïque. Un Conseiller lay. On appelle un frère lay, un moyne lay, les frères servants, qui ne sont point destinés aux ordres. De même, une soeur laye : qui n’est point du choeur. La forme lai, laie apparaît dans l’édition de 1740 et disparaît après l’édition de 1935 qui en dit : « il n’est plus employé que dans cette expression : Frère lai ». La forme laïc apparaît à la nomenclature de 1798 avec un féminin laïque calqué sur caduc-caduque et va servir de base dérivationnelle à toute la famille, avec pêlemêle : laïcat, laïquat, laïcation, laïcocéphale, laïcité, laïcisme, laïciser, laïcard.
Cette alternance morphologique de genre sera réinterprétée, par la suite, tantôt comme une alternance catégorielle : laïc est le substantif, laïque l’adjectif (jusqu’au grand Larousse de 1975), tantôt comme variation sémantique du substantif : Laïc désigne un adepte d’une religion qui n’est pas un clerc, Laïque désigne un partisan du principe de Laïcité. Cette distinction claire, sans être systématique, tendra à se généraliser au XXe siècle.
« Cette réinterprétation sémantique d’une simple variation graphique met en lumière la nature profonde du conflit idéologique » (Pierre Fiala, lexicométrie et textes politiques, CNRS)
En 1878, la définition s’étend aux termes non humains (habit laïque, de condition laïque. Mais c’est l’édition de 1935 qui marque la coupure sémantique profonde.
Laïque : qui est étranger à toute confession ou doctrine religieuse. État laïque, les lois laïques.
Il convient de revenir sur l’abominable mot laïcocéphale Il s’agit d’un terme théologique retenu dans l’édition de 1842. Il avait été introduit par les Jésuites de Trévoux, en 1732, dans leur reprise du Furetière, après les démêlés de ce dernier avec l’Académie.
Laïcocéphale : hérétique qui reconnaît un laïc pour chef de l’Église. “On a donné ce nom aux Anglicans, qui reconnaissent le Roi du lieu où ils vivent pour chef de la religion ». L’Encyclopédie de Diderot avait retenu l’usage matériel de l’adjectif : « biens laïques, puissance laïque » par opposition à puissance ecclésiastique.
Émile Littré a été le premier à faire de laïc et laïque deux substantifs bien démarqués. Mais du coup, il n’avait plus d’adjectif ! Qu’à cela ne tienne. Il préconise dans son supplément de 1877 l’adjectif laïcal, attesté au XVIe siècle, et introduit par les Jésuites dans le Trévoux de 1774 avec un exemple : dîme laïcale. Émile LITTRÉ le définit ainsi : Laïcal : qui a rapport aux laïques par opposition à clérical.
Le mot est bon et mérite d’être retenu et employé. Hélas, il ne le fut pas et ainsi l’ambiguïté fut cultivée par les nouveaux cléricaux des années 1960-1970. Larousse avait introduit dans son Encyclopédie de 1873 le mot Laïcité : caractère de ce qui est laïque, d’une personne laïque, la Laïcité de l’enseignement. « Il fut un temps où la Laïcité était comme une note d’infamie »
[/Claude de Nardi (La Calotte)/]
(1) Pierre Fiala : professeur de linguistique à Paris I, puis associé au CNRS pour des recherches en linguistique.
Note : ce texte, écrit à usage interne de la Ligue des Droits de l’Homme au début des années 70, reste très d’actualité.
Source principale de sa documentation, la « Revue des Presses de la fondation des sciences politiques », avec la collaboration du CNRS, de YENS et des Universités de Paris 1 et Paris XII (Lexicométrie).