I- Darwinisme et néodarwinisme
Quelques définitions :
C’est à la paléoanthropologie que nous devons l’essentiel de ce que nous savons de l’évolution actuellement. Rappelons que la paléontologie est la science des êtres vivants ayant existé sur la terre aux divers temps géologiques : elle est fondée sur l’étude des fossiles. L’anthropologie, elle, est la science physique des variétés humaines et par extension, l’ensemble des sciences qui étudient l’Homme en société. Ainsi, la paléoanthropologie s’intéresse à l’histoire naturelle de l’Homme.
C’est à Pascal PICQ, un paléoanthropologue français, que j’ai emprunté les notions exposées ici. Il est Maître de conférence à la chaire de paléoanthropologie du collège de France. On lui doit de nombreux ouvrages de défense des théories de l’évolution, combattues par les créationnistes et ou les adeptes du « dessein intelligent ».
Charles Darwin, né en 1809 et mort en 1882, était un naturaliste anglais qui publia en 1859 un ouvrage à l’origine de la théorie de l’évolution biologique intitulé « De l’origine des espèces au moyen de la sélection naturelle ». On fêtera cette année le 150e anniversaire de sa publication en pleine ère victorienne. (En 1871, il complètera sa thèse de 1859 par « La filiation de l’Homme et la sélection par le sexe ».)
Ce fut un énorme pavé dans la mare des obscurantismes religieux de l’époque, car Darwin y affirmait : « L’homme ne descend pas du singe, il EST un singe ! » Pascal Picq, en 2001, ne dit pas autre chose. En effet, 150 ans plus tard, aucun scientifique honnête, faisant abstraction de ses croyances, ne peut contester sérieusement le darwinisme, malgré l’extraordinaire fécondité des travaux et des recherches, en biologie entre autres. Si les thèses de Darwin étaient vraiment contestables, elles auraient été contestées, en particulier durant ces 50 dernières années, par la génétique et les sciences de la Terre, qui n’ont fait que confirmer les thèses de Darwin.
Un bref rappel du contexte de la publication de la thèse de Darwin est nécessaire pour tenter de se faire une idée du bouleversement des idées induit par cette thèse (les 1250 exemplaires de son livre furent vendus en une journée)
Jusqu’alors l’histoire dite « naturelle » de l’Homme supposait une loi interne à la vie, comme si la vie, depuis ses origines, poursuivait un but : l’avènement de l’Homme. Cette croyance, venant de nos mythes, se retrouve dans les grandes religions monothéistes, dans plusieurs traditions philosophiques de l’occident, et elle reste vivace en paléoanthropologie encore actuellement malheureusement. La condamnation de Galilée par l’inquisition romaine remontait à deux siècles, mais cette juridiction ecclésiastique d’exception, qui terrorisait les esprits du 13e au 16e siècle, était encore bien présente au milieu du 19e, au moins dans les têtes.
Le Calvinisme, né de la réforme pratique depuis le milieu du 16e siècle, chez les protestants, un terrorisme intellectuel aussi redoutable que celui de l’Inquisition catholique. C’est ainsi que Michel Servet, médecin et théologien, qui contestait les dogmes imposés par Calvin, avait été brûlé vif à Genève en 1553. Plus près de nous, Sébastien Castellion, né dans l’Ain à Saint Martin du Fresne, lui aussi théologien, avait été contraint à l’exil pour avoir réclamé la liberté de conscience, à cette même époque.
Les milieux scientifiques de la moitié du 19e, toujours très influencés par le christianisme, en Europe et aux États-Unis, étaient aussi imprégnés des théories du français Lamarck (né en 1744 et mort en 1829). Sa « Philosophie zoologique » parue en 1809 fut la première théorie positive de l’évolution biologique : son « transformisme » affirme que « la fonction crée l’organe » et que les caractères acquis sous l’influence du milieu et des besoins se transmettent par hérédité.
Il était donc l’un des premiers naturalistes à prendre ses distances par rapport au « fixisme » des espèces, imposé par les religieux.
Lamarck a beaucoup influencé Darwin : en effet, il n’y a pas de génie isolé de la société des savants, pas plus qu’il n’existe d’espèce isolée de sa communauté écologique.
Autour de la Deuxième guerre mondiale, un groupe de chercheurs se réunit aux États-Unis, à l’Université d’Harward : des généticiens, des paléontologues, et des zoologues. Ils exposent les avancées de leurs disciplines et décident d’en faire une grande synthèse : c’est la « Théorie scientifique de l’évolution » qui marque le renouveau de la théorie de Charles Darwin : le néo-darwinisme. Un triomphe pour le centenaire de la publication de « l’Origine des espèces » en 1959.
Malgré ce triomphe du darwinisme vers 1959, il faudra encore attendre 50 ans pour que l’Académie Pontificale des Sciences à Rome inscrive l’ÉVOLUTION comme thème de sa session plénière en novembre 2008. Cette Académie, créée par Pie XI dans les années 1920, rassemble des grands savants du monde entier, quelles que soient leurs convictions religieuses. En 1996, « déjà », Jean Paul II avait affirmé que « la théorie de l’évolution de Darwin est plus qu’une hypothèse ».
Lors de la session de l’académie Pontificale de 2008, un académicien confiait à un journaliste de La Croix : « En fait, on perçoit la difficulté de l’Église à concilier Darwinisme et foi, et en même temps, sa très grande attention à ne pas créer une nouvelle affaire galilée ».
Signe de cette prudence, en recevant les académiciens, Benoît XVI n’a pas cité une seule fois le nom de Darwin ! Mais l’Académie pontificale devrait prochainement rendre publique une déclaration affirmant que « les données actuelles disponibles sur l’évolution de l’univers confirment complètement la théorie darwinienne. » (La Croix novembre 2008)
Dans l’Église catholique, certains critiquent cependant une conception trop idéologique du darwinisme, qui en ferait une sorte de matérialisme influençant toute la vie, et vont parfois jusqu’à soutenir la théorie du dessein intelligent
II Les Créationnismes et le dessein intelligent.
Les tendances sont aujourd’hui multiples qui associent les créationnistes « littéralistes », jusqu’aux versions les plus molles acceptant une évolution si celle-ci est guidée par une transcendance (dieu en général) issue de la genèse, le livre premier de la Bible.
On parle donc DES créationnistes que nous pouvons définir comme étant « toutes les doctrines qui, à un moment quelconque de leur argumentation, font intervenir un être transcendant, hors de la nature, doué d’intentionnalité et de volonté, agent créateur et décisionnaire de l’agencement de l’univers, de ses constituants et de ses entités » (définition de Marc Silberstein dans « L’unité des créationnistes », 2007).
Toutes les religions ont donné de très belles pages de poésie, de littérature et autres œuvres d’art liées aux divers imaginaires mystiques qui ont enrichi le patrimoine de l’Humanité, nul n’en doute.
Mais les fous de dieu que sont les créationnistes, qui nient de toutes leurs forces l’évolution et le darwinisme et s’en tiennent à la vision poétique littérale de la Genèse et du Grand Horloger, tirent argument (ou plutôt arguties) de la complexité de l’Univers pour légitimer leurs croyances et leurs efforts pour en diffuser la connaissance.
Le terme de créationnisme est apparu au 19e siècle, quelques décennies après la parution de la thèse de Darwin, dans les églises évangéliques nord-américaines. Historiquement, la doctrine de la création, qui existait avant ces mouvements évangéliques, est une conception religieuse évoquant une puissance surnaturelle à partir du néant. Cette croyance en une création originelle est plus particulièrement, mais non exclusivement, associée aux trois grandes religions monothéistes : le Judaïsme, le Christianisme et l’Islam.
Les créationnismes se rejoignent par certains « arguments » qu’ils utilisent pour nier la théorie darwinienne de l’évolution : l’un des exemples repris depuis 150 ans est celui de l’œil et son « irréductible complexité » pour utiliser leurs mots, une complexité qui interdirait de croire en la théorie darwinienne.
Au début des années 1990, un nouveau mouvement créationniste est apparu aux États-Unis : le « dessein intelligent ». Il s est fait connaître à l’été 2005, lors du procès de Dover, dans l’état du Delaware. Durant ce procès, les partisans du dessein intelligent tentaient, par voie juridique, d’imposer l’enseignement de leur doctrine dans les cours de biologie. Les adeptes du dessein intelligent prétendent qu’il s’agit d’« une théorie scientifique » affirmant que « certaines caractéristiques de la nature sont mieux expliquées par une cause intelligente plutôt que par un processus non dirigé, tel que la sélection naturelle ». Le dessein intelligent ne fait plus référence à Dieu.
Aux États-Unis, depuis 1920, la Loi Butler interdisait à tout enseignant d’Université, d’école Normale, ou de toute autre école publique financée, entièrement ou partiellement par des fonds d’État, d’enseigner une théorie qui nie l’histoire de la création divine de l’Homme, telle qu’elle est enseignée dans la Bible, et qui prétend que l’homme descend d’un ordre inférieur d’animaux.
Cette loi Butler a déclenché plusieurs procès dits « procès du singe », mais il a fallu attendre 1968 pour que la Cour suprême des États-Unis estime que l’interdiction d’enseigner la théorie darwinienne de l’évolution est contraire au droit constitutionnel de séparation des églises et de l’État, stipulée par le premier amendement de la Constitution américaine. Ce n’est que dans les années 1970, que la théorie de l’Évolution va s’imposer dans les manuels scolaires aux E.U… plus d’un siècle donc après la publication de la thèse de Darwin.
Mais ni aux États-Unis ni en Europe, les créationnistes n’ont renoncé à leur combat obscurantiste et une deuxième croisade créationniste a vu le jour au début des années 1980, soutenue par la « majorité morale », une organisation qui avait l’oreille de Ronald Reagan, élu président de 1981 à 1989.
Les créationnistes ont assimilé leurs erreurs passées : ils ne veulent plus interdire l’enseignement de l’évolution, mais veulent démontrer que l’évolution n’est qu’une supposition et qu’au nom de la Science et de la tolérance, « la Science de la Création » (sic) doit être enseignée dans les écoles comme une théorie alternative au Darwinisme.
En Europe et en France, la menace créationniste est vue comme un particularisme américain lié au seul fondamentalisme protestant et à l’omniprésence du sentiment religieux aux États-Unis : la France serait à l’abri. Il n’en est rien. Au contraire les entorses à la loi de 1905 commises par le président de la République sont légion.
En octobre 2005 déjà, la chaîne de télévision franco-allemande Arte diffusait un documentaire intitulé « Homo Sapiens, une nouvelle théorie de l’Homme », qui présentait la thèse d’une évolution humaine « guidée » : une thèse rejetée par les scientifiques, mais présentée par Anna Dambricourt Malassé, paléoanthropologue disciple de Teilhard de Chardin, au CNRS..
En février 2006, le Monde publiait une tribune intitulée « Pour une science sans a priori », signée par des membres de l’Université interdisciplinaire de Paris. L’UIP est une association française qui œuvre pour un rapprochement entre science et religion. Les thèses créationnistes existent donc bel et bien en Europe, et aussi en France, et les officines qui diffusent ces thèses avancent masquées, comme cette Université de Paris, animée par des prosélytes chrétiens. Jean Staune, auteur prolixe, en est le fondateur et l’animateur. Seuls les hebdomadaires Politis et le Nouvel Observateur ont pris le contre-pied de cette offensive, soutenue par ARTE et Le Monde en France il y a quelques mois.
En juin 2007, heureusement, la Commission de la Culture, de la Science et de l’éducation au conseil de l’Europe a publié un rapport intitulé « Les dangers du Créationnisme dans l’Éducation ». Ce rapport invite les instances éducatives des États membres à promouvoir le savoir scientifique et l’enseignement de l’évolution, et à s’opposer fermement à toutes les tentatives de présentation du créationnisme comme une discipline scientifique.
Dans la version finale de ce rapport, il est précisé que « nous sommes en présence d’une montée en puissance de modes de pensée qui, pour mieux imposer certains dogmes religieux, s’attaquent au cœur même des connaissances que nous avons patiemment accumulées sur la nature, l’évolution, nos origines, et notre place dans l’univers ».
Le rapporteur est un Français : Guy Lengagne, député socialiste au Parlement européen, qui précise « le créationnisme ne concerne plus seulement les évangélistes américains ou certains écrivains turcs : l’Europe n’est plus à l’abri de ce message faux qui prétend se substituer à des connaissances scientifiques reconnues. Ce cancer très avancé, dit encore Guy Lengagne, fait que nous assistons aux prémices d’un retour au Moyen-Âge ».
En citant « certains écrivains turcs » Guy Lengagne évoque un créationniste turc : Harun Yahia (de son vrai nom Adnan Oktar), fondateur du BAV (Bilim Arastirma Vafki), une organisation religieuse dont le but principal est de faire disparaître l’évolution de l’enseignement turc, et de promouvoir le Coran.
Le BAV bénéficie d’importants moyens financiers ; ainsi il revendique 250 ouvrages traduits en 57 langues, 200 films documentaires vendus à des millions d’exemplaires, et 200 sites web !!! Il entretient des liens étroits avec l’Institut pour la recherche sur la création basé aux États-Unis.
Harun Yahia a publié un ATLAS DE LA CRÉATION diffusé a des milliers d’exemplaires et disponible intégralement sur le site www.harunyahia.fr/m. Il s’appuie sur les réseaux de la Confrérie islamiste NURCU, principalement implantée en Asie Centrale Turcophone et aux États-Unis : ce mouvement Nurcu a été fondé en 1926, il prône « le Djihad spirituel » contre les infidèles et leurs doctrines.
En janvier 2007, un envoi massif d’exemplaires de cet Atlas de la création (800 pages richement illustrées) a été réalisé dans divers pays d’Europe. En France, le ministère De Robien de l’Éducation nationale a immédiatement interdit son usage dans les écoles publiques et conventionnées. Cet Atlas comportait trois volumes en février 2008, mais une série de sept tomes est prévue !!!
Une fondation américaine : la John Templeton Foundation, d’envergure internationale, finance les organisations créationnistes dans le monde entier ; cette fondation a été créée en 1987 par John Templeton, un très riche homme d’affaires qui a fait fortune dans les Fonds d’Investissement. Sa fondation délivre chaque année des dizaines de millions de dollars de bourses et de prix divers pour financer entre autres « les progrès en science et en religion » sic.
Cette fondation a ainsi financé un large programme intitulé « la science et la quête spirituelle » mis en place par le « Centre pour la théologie et les sciences naturelles » basé à Berkeley en Californie. L’UIP, en France (Université Interdisciplinaire de Paris) animée par Jean Staune, déjà cité, y participe activement.
D’énormes budgets ont été trouvés pour créer des musées créationnistes aux États-Unis, mais aussi en Europe depuis 1996 en Suède, en Allemagne, au Royaume-Uni et ailleurs, mais c’est en Suisse que le projet le plus ambitieux propose la « reconstruction grandeur nature » de l’Arche de Noé : 138 mètres de long et 22 mètres de large, dans un parc baptisé le Parc de la Genèse !
Plus modestement financièrement, mais peut-être plus dangereux, Mohamed Keskas, professeur agrégé de biologie et géologie en banlieue parisienne, est l’auteur d’un petit livre d’une soixantaine de pages intitulé « La théorie de Darwin : le hasard impossible » et sous titré « La théorie de l’évolution des êtres vivants analysée par un croyant ». Paru en 2002, et vendu 2 euros sur de nombreux sites musulmans français et dans les librairies musulmanes, il est publié par les Éditions du Figuier.
Le rapport Obin de 2004 sur « Les signes et manifestations d’appartenance religieuse dans les établissements scolaires » souligne qu’un mouvement sectaire musulman, bien implanté en France : le « TABLIGH « d’origine indo-pakistanaise aide à la diffusion de l’ouvrage de Keskas auprès des élèves » (les sectes telles que les Témoins de Jéhovah ou la Scientologie diffusent elles aussi ce genre de littérature)
EN GUISE DE CONCLUSION : les multiples tentatives pseudo scientifiques que je viens d’évoquer, pour contaminer l’enseignement des Sciences de la vie et de la Terre par des croyances religieuses intégristes, devraient bien convaincre tous les Français attachés à la liberté de conscience et à la laïcité de se mobiliser dans la lutte contre l’obscurantisme qui menace nos enfants de façon insidieuse, mais bien réelle.
La loi de 1905 qui entérine théoriquement en France la séparation des églises et de l’état constitue certes un rempart contre toute ingérence des croyances religieuses dans l’enseignement entre autres, mais ce rempart, qui nous est envié par les laïques du monde entier, se fissure sous les coups de boutoir des intégrismes religieux de tous bords : les laïques du monde entier, qui nous envient cette loi, observent aussi nos initiatives pour défendre la stricte séparation des églises et de l’État : NE LES DÉCEVONS PAS, DÉFENDONS CETTE LOI !!!!
Pierre POUWELS, février 2009